vendredi 20 juillet 2007

MOTIVATION A LA LECTURE EN MILIEU SCOLAIRE

COMMUNICATION ET MOTIVATION A LA LECTURE EN MILIEU SCOLAIRE
(Formation continue des maîtres, FAÏZA SKANDRANI, Radès, 1990)

Introduction
Dans quelle mesure la nature propre de la "motivation" à la lecture s'inscrit elle obligatoirement dans le schéma de la communication ? Quel lien existe t il entre l'acte de communiquer et l'acte de motiver à la lecture ?
Quelles sont les opérations communes à ces deux actes ? Commençons d'abord par définir ce qu'on entend par « communiquer » ensuite par « motiver à »... Selon le Petit Robert, « Communiquer » a plusieurs sens dont Faire connaître quelque chose à quelqu’un, Faire partager..., Rendre commun à..., Transmettre (quelque chose à quelqu'un).
Le verbe communiquer contient donc l'idée d’informer, de partager et de transmettre.
Le verbe « motiver », employé à propos de personnes veut dire "justifier par des motifs".La motivation, elle, est la "relation d'un acte aux motifs qui l'expliquent ou le justifient".En latin l'adjectif "motivus" signifie "mobile" "relatif au mouvement. Nous retrouvons ce sens dans le mot "motif" en français qui signifie en même temps "mobile d'ordre intellectuel","raison d'agir", ainsi que "sujet d'une peinture".
Si nous mettons en relation donc, l'idée de partage d'une information transmise et celle de faire bouger une personne pour l'amener à la lecture, nous voyons que le schéma classique de la communication s'impose et détruit automatiquement l'information transcendantale soutenue par les représentations sociales patriarcales du type "on ne discute pas avec le maître parce que l'on ne discute pas avec son père".

I) Problèmes généraux:
1. Cette approche doit obligatoirement s'inscrire dans le schéma de la communication :

CONTEXTE .5

EMETTEUR 1.. CANAL DE COMMUNICATION.2.RECEPTEUR.3.

MESSAGE .4
CODE. 6
La grille solidement posée par de nombreuses théories : Emetteur – Message Récepteur, passe à côté de la situation dynamique de la communication.
Souvent en effet, on est dans l'incapacité, de distinguer l’émetteur du récepteur de ce qui se passe dans le message, mais il suffit de dire que dans la situation parfaite de communication, on est tour à tour émetteur et récepteur et vice¬ versa."Personne n'occupe définitivement une des deux instances, mais encore parce que l'on se trouve toujours dans une totalité complexe laquelle est en train de se faire, de se défaire et de se refaire continuellement" selon Nourreddine Kridis.
2) La réflexion sur la communication:un certain regard sur le monde :
Communiquer, c'est partager quelque chose selon Desanti. Parler de la communication et de la motivation à la lecture, c'est introduire la nécessité de parler de la communication et de prendre en compte la nécessité de la situation de communication en situation de motivation à la lecture. Il s'agirait de réfléchir sur un type d'organisation de rapports, sur la situation des enseignés et des enseignants, sur le type d'action entreprise : S’agit il, en motivation à la lecture d'informer d'une manière unidirectionnelle ou de communiquer, c'est à dire de transmettre en partageant ?...
Y a-t il circularité, retour, feed back? La communication est elle rétroactive? Existe t il un DIALOGUE ? Y a t il relation de symétrie, de dissymétrie, de réciprocité ? "Le détenteur d'une information partielle interroge un autre détenteur d'une information partielle, différente de celle qu'il détient. Il est à souligner, par conséquent, l'espace symétrique et réciproque dans lequel se passe cette discussion. Les deux membres sont considérés sans aucun privilège porté à l'un aux dépens de l'autre... L'émetteur et le récepteur sont unis et se situent dans un type de rapports qui exige que l'on se rende compte du changement important de notre conception du dialogue et plus précisément de la communication.
"L'élève ne doit plus être considéré comme l'ignorant mais comme possédant un savoir partiel, ne serait ce que ce qu'il a entendu dans son milieu, à travers ses expériences ".L'éducation n'est pas un mouvement de celui qui sait absolument vers celui qui ne sait rien mais c'est la démarche qui consiste à mettre en mouvement celui qui ne sait pas pour le transformer, pour le motiver... Ainsi celui qui communique n'est pas celui qui sait mais celui qui se sépare de son savoir, pour permettre à l'autre de l'y rejoindre... Il faudrait alors passer des relations dictatoriales à des relations "démocratiques", la parole ne se dirigeant plus du haut vers le bas, mais attendant des opérations de retour, d'interaction, de rétroaction, de circularité. Le cerveau du maître n'est plus aussi plein que l'on croit ni celui de l'élève aussi vide qu'on le croit.
3) Comment motiver à la lecture un enfant qui ne sait pas lire?
La lecture fait appel au langage; le langage utilise des signes accessibles au sens. Il permet de se faire comprendre, d'exprimer ses sentiments, d'échanger des idées, de les partager, de les confronter... en un mot de COMMUNIQUER.
Plusieurs psycho pédagogues ont démontré qu'un enfant qui savait parler accédait au savoir lire et au pouvoir lire plus rapidement qu'un enfant qui parlait mal. Ainsi la relation existant entre la communication verbale et la lecture est essentielle. Cependant cette communication verbale s'accompagne d'une communication non verbale qui est tout aussi déterminante dans la motivation à la lecture.
Ce double aspect de la communication est capital dans la motivation à la lecture.
La communication non verbale s'adresse, elle, à la sensibilité de l'élève qui est la clé de la relation à la lecture. Ainsi le rôle de l'image et celui du langage gestuel se greffent à une civilisation du "LOOK".L'image parle directement à la sensibilité.
La reconnaissance de l'objet représenté suppose que l'on connaisse déjà celui ci. En ce sens, l’image fonctionne comme tout autre code social et exige du déchiffreur la connaissance préalable de la clé de ce code. Le langage gestuel relève lui aussi d'un "code précis".Les Tunisiens et les méditerranéens en général parlent souvent avec des gestes, des mimiques ...Parfois le geste seul ou la grimace seule peuvent remplacer les mots. (Mimes, langage des sourds muets, haussement des épaules, hochement de la tête, clin d’oeil,...).Il est essentiel de bien maîtriser ses gestes et son corps car si ces gestes sont volontaires, ils pourraient faciliter la communication et par là même faciliter la motivation à la lecture, ou dans le cas contraire la perturber et par là même inhiber le goût de la lecture chez l'enfant élève.
4) Selon Bruno Bettelheim, la communication, c’est avant tout une relation avec un entourage attentif : (cf.:La Forteresse vide).
Ainsi, le maître doit être à l'écoute de ses élèves. Dans la mesure où la communication constitue une condition primordiale du développement de la personne, en l'occurrence l'enfant¬ élève, elle précède tout autre mode sur lequel s'effectue le rapport au monde ou aux autres. La personne étant d'essence relationnelle, l'élève cherche le dialogue avant d'être capable de connaître. La relation est le fondement de la personne humaine. L'entrée dans la vie scolaire est aussi l'entrée dans la vie sociale. Elle consiste à mettre un être humain au contact d'autres êtres humains. L'homme ne devient homme que parmi les hommes. C'est dans ce sens que Fichte dit que "la relation originaire entre les hommes est une relation éducative."(Droit Naturel.III).
Partant donc d'une relation maître/élève harmonieuse la motivation à la lecture ne peut se faire sans relation harmonieuse de l'enfant au livre et sans relation harmonieuse des enfants entre eux.
II) De la motivation à la lecture à la LECTURE
Comment la communication maître/élève peut motiver à la "lecture "un enfant qui ne sait pas lire?
D'abord en restant à l'écoute de l'enfant élève. Ensuite, en préparant l'élève à exercer ses cinq sens:L'ouïe, la vue, le toucher, l'odorat, le goût. Autrement dit, le maître fera écouter une histoire aux élèves, il leur fera voir des images, le livre même, il leur fera toucher le livre, il leur fera sentir le livre pour qu'ils aient envie de le goûter ,de le LIRE. Ainsi les enfants élèves désireront lire avant d'en être capables. Le maître fera lire le livre à travers la couverture, les images... Il expliquera comment le livre est fait : le rôle de l'auteur, de l’illustrateur, de l'éditeur. Les élèves repéreront les places qui leur sont réservées avant qu'ils puissent les décoder.
La communication autour du livre initie l'enfant à décoder tous les signes qu'il pourra par la suite lire au second sens.
Elle instaurera par là même l'envie de lire, indispensable à l'effort de lecture qui ne peut s'instaurer sans une situation d'écoute entre le maître et ses élèves.
1) L’enfant en situation d'apprentissage à la lecture: L enfant et le livre.
Les parents préparent ils leurs enfants à la lecture ? Les motivent ils? Une fois acheté par les parents, le livre est il lu par l'enfant? Les livres qui ont le plus de succès auprès des jeunes enfants sont les livres qui contiennent des gadgets comme le fameux PIF, ou les livres de coloriage. Ce que nous constatons, c'est que les poubelles regorgent de livres aussi bien scolaires que distractifs. L'enfant assimile le livre à un jouet imposé par les parents ou à un jouet convoité et réduit à l'état de déchet aussitôt qu'acquis. En un mot, que le livre soit intéressant ou infantilisant, difficile ou facile, cher ou bon marché, nous devons nous rendre à l'évidence suivante : l’enfant n'ayant pas été motivé à la lecture par ses parents ne peut en aucun cas établir de relation harmonieuse avec le livre. C'est ainsi que durant ces dernières années ni la famille, ni l’école, ni la société dans son ensemble ne se sont assez intéressées à la motivation de la lecture enfantine.
L'enfant, avant la lecture en elle même, désire t il le livre? Désire t il LIRE? Quels rapports entretient il avec l'autorité (familiale, scolaire, sociale)? Quelle image les parents et les maîtres lui renvoient ils?
Simone Bonafé dit qu’un enfant auquel sa mère ou son père raconte des histoires à partir d'un livre, même dés l'âge de deux ans est mieux réparé qu'un autre qui ne passe pas par cette initiation, à l’aventure scolaire. Cette relation affective est primordiale dans la motivation à la lecture.
2) Le respect du livre:
Le livre doit être désiré, avons nous déjà dit; mais il doit aussi être respecté pour l'être. Le respect ne veut en aucun cas s'opposer à l'amour du livre. Or, ce que nous constatons ou ce que nous avons constaté ces dernières années, c’est que rien dans l'éducation actuelle n'inculque aux jeunes enfants ce respect du livre : ce qui d'ores et déjà oppose la génération des premières années de l'Indépendance à la génération actuelle.
Avant de parler de cette rupture de la lecture et de la jeunesse, il faudrait souligner au passage l'utilisation directe des livres cahiers par les élèves, bien sûr, jetés en fin d’année, les dossiers sur différents thèmes exigés par les maîtres qui poussent les élèves à piller les bibliothèques familiales et publiques en vue de rapporter au Maître ou à la Maîtresse, la plus belle image, les plus belles images et par conséquent le meilleur dossier!
En un mot, les parents, les maîtres ne font pas acquérir à l'enfant élève d’aujourd’hui, cette exigence du respect du livre que l'école traditionnelle tentait de lui inculquer dés le premier jour où il tenait un livre entre les mains.
Il est demandé à l'élève de répondre sur son manuel:il le fait mais il le griffonne et le détériore en toute liberté. Il le corne, le malmène sans observations de la part des éducateurs...Le livre, auparavant servait à toute une famille et était en en excellent état. L'enfant s'initiait par là à l'amour des livres et de la bibliothèque. Ce livre valorisé autrefois se faisait "respecter", aimer ... Les éducateurs veillaient à ce qu'il ne soit pas détérioré et par là même les enfants soignaient les livres autrefois beaucoup mieux qu'aujourd'hui.
La crise de la lecture aujourd'hui n'est pas seulement liée à cet aspect; il n'en demeure pas moins que la politique de démocratisation pour mettre le livre à la portée de tous n'a pas tout à fait réalisé cet objectif, car cette politique du prix du livre en Tunisie n'a pas été soutenue par une politique de valorisation du livre dans la famille, à l'école et dans les médias. Cette détérioration du livre et de la lecture passent par un manque de motivation à la lecture qui est inséparable du manque de communication entre parents /enfants, maîtres/élèves, responsables du Ministère /maîtres, créateurs /médias... Enfants/enfants...
3) La relation des enfants entre eux:
La motivation à la lecture améliore la communication au sein de la classe même en rapprochant le maître de ses élèves mais aussi en rapprochant les élèves entre eux. La séance de motivation à la lecture apprend aux enfants à prendre la parole à tour de rôle, à s’exprimer, à partager, à accepter les idées d'autrui. Il n'y a plus d'homme à tout faire. Il y a des hommes qui font ensemble ce qui est à faire. Les relations sociales ont évolué dans le sens d'une socialisation, de même les relations de la classe doivent apprendre à l'enfant la vie en classe par conséquent la vie en société. La séance de motivation à la lecture initie l'enfant au fait que sa liberté s'arrête là où celle d'un autre enfant commence.
L'enfant apprend à se poser par rapport aux autres; il peut établir des relations d'accord ou de désaccord avec les autres enfants, avec le MAITRE.
Pour cela, l’enseignant devrait être conscient de l'importance de l'enjeu communicationnel dans la classe (dans toutes les séances particulièrement dans la séance de motivation à la lecture. L'enseignant sera placé entre l'alternative d'éduquer et de communiquer d'une part ou d'autre fart d'être séparé, de terroriser et de commander « arbitrairement ». C’est à lui de choisir de communiquer ou de ne pas communiquer ...Despotisme ou démocratie?
Il est urgent aujourd'hui que l'ÉCOLE prenne en charge la motivation à la lecture, car comme de nombreuses études l'ont montré dans le monde le développement de la lecture est inséparable du développement des populations. Abdelkader Ben Cheikh a montré quant à lui le rôle marginal de la FAMILLE dans ce type d'action et il a insisté sur l'idée que l'école était le cadre privilégié pour cette action.

III. Lecture à l’école et pédagogie: De la télévision au livre
En étudiant les loisirs dominants et marginaux des jeunes, A. Ben Cheikh a mis en relief que la télévision l'emportait sur la lecture. Tout le monde se plaît à répéter que les tunisiens n'aiment pas lire sans qu il y ait eu jusqu à cette année, de véritable stratégie de motivation à la lecture.
Si la télévision a beaucoup de succès auprès des jeunes enfants, c'est qu'elle leur offre un monde gai et dynamique que le livre pour enfants ne leur offre pas pour des raisons d'ordre économique. Même si de nombreuses études démontrent que la télévision accroît la passivité de l'élève et réduit ses capacités de mémorisation en situation scolaire, certains chercheurs comme Mac Luhan, tel que cela a été présenté par Jacqueline Brisson et Lucette Chambard, insistent sur l'idée que "l'école s'emploie à réduire la différence et à remodeler ses méthodes, en fonction de ce que sont les modes nouveaux d'appréhension."
Selon les mêmes chercheuses,"la télévision implique l'enfant dans des processus auxquels il participe en profondeur bien avant de pouvoir concevoir rien d approchant. Plus profondément, elle suscite chez les jeunes, l’exigence inconsciente puis exprimée d'un engagement réel dans toutes les structures du quotidien."(p.25).Ainsi, pour établir la corrélation communication et lecture,"il nous faut envisager nos propres attitudes d’éducateur’’ (p.25).
Ainsi, par exemple le cours magistral implique un mode de communication entièrement opposé à la nature du message télévisé. Aujourd'hui l'enfant vit à la fois dans deux mondes contradictoires dont aucun ne l'incite à grandir. D'une part un monde éducatif qui n'a pas su affronter des enfants /élèves à qui la TV a donné "l'exigence d'une participation directe, en profondeur et sans délai."D'autre part, un monde médiatique qui n'a pas su participer à un processus de motivation à la lecture. Toujours dans la même étude les chercheuses affirment:" "Sous peine de laisser se détériore encore la "formation" que l'école donne aux enfants aujourd'hui, il faut retrouver l'unité des méthodes ... On voit qu ici encore, il ne s'agit pas de l'opposition livre média, mais de celle des démarches liées à l'un et à l'autre type de civilisation."
- Méthodes traditionnelles et démarches nouvelles:
De la séance de lecture à la séance de motivation à la lecture: Beaucoup de chercheurs occidentaux ont insisté sur la nécessité de supprimer le décodage à haute voix, la lecture à tour de rôle et contrôle du maître, la nécessité de suivre sous peine de punition ... Toutes ces pratiques font de la séance de lecture une séance ennuyeuse tout en tuant l'envie de lire chez l'élève. A. Ben Cheikh aussi l'affirme:"Trop souvent, l’école considère avoir rempli sa mission dans le domaine de la lecture en se bornant à l’indispensable apprentissage du décodage au cours préparatoire, poursuivi au cours élémentaire."(p.237)
Il poursuit:"Il me paraît évident que de tels exercices de lecture sont non seulement inutiles mais qui plus est, par l'ennui qu'ils procurent aux élèves, sont un obstacle à "l'envie de lire". (p.237)
Comment donc susciter cette "envie de lire" chez l'enfant tout en sachant que la lecture, tel que le montre Inizan, n'est pas une activité naturelle mais une création humaine qui présente plusieurs difficultés.
Les démarches nouvelles consisteront à doter l'enfant élève de la force nécessaire pour réussir avec succès cette épreuve. En effet "une des difficultés de la lecture réside dans l’effort qu'elle nécessite. La TV, elle, n’est accompagnée d'aucune évocation de l'idée d'effort. Elle peut familiariser les téléspectateurs avec les livres sans que soit associée l'idée d'effort."(p.41)
Nous voyons donc que si le message télévisuel implique des démarches nouvelles qui fascinent les enfants, il réduit la capacité d'effort nécessaire à la lecture. Gérard Boughourlian aussi met l'accent sur la nécessité de l'effort chez l'enfant mis en situation de lecture :"Sa "soif de connaître" devra être suffisamment grande pour qu'il s'acharne à déchiffrer, à analyser, à comprendre et à faire vivre dans son imagination ce que le papier lui transmet.» La lecture ne constitue pas pour l’enfant un plaisir à priori", ai¬-je entendu dire bien des instituteurs ! La lecture nécessite certes un engagement et l'activité de l'enfant. Je ne connais pas d'enfant qui n'aime pas l'activité. Je connais bien des élèves à qui on n'a pas su donner la joie de devenir lecteurs, cette joie qui permet à l’enfant, au gré de son propre rythme, de devenir le seul destinataire et l’unique détenteur du message qu'il a décodé. C'est du moins ce que peut lui faire croire le livre. Il s'installe alors une connivence, une amitié entre l'enfant et le livre."(in Le Pouvoir de Lire, G.F.E.N, p.237).
Pour qu'existe cette connivence entre le livre et l'élève, il faudrait que le maître ait participé à son instauration en créant un climat de confiance fondé sur l'existence de la connivence entre le maître, le livre et l'élève.
L'une des premières démarches consiste donc à familiariser l'enfant avec le livre avant de le familiariser avec la lecture même quand il ne sait pas lire : c'est aussi l'objectif du premier trimestre de la première année primaire en motivation à la lecture. Cette familiarisation avec la lecture se fait parallèlement avec une familiarisation avec les formes orales qui devront servir de références à l'acquisition de la langue écrite."Bien entendu il faudra que l’apprenti lecteur rencontre de nouveau dix fois, cent fois, ce mot ou cet ensemble de mots, pour qu'il les reconnaisse de loin, en un éclair, et parvienne ainsi à la lecture idéo- visuelle de l'adulte."(Le lecteur adulte vient aussi de son enfance, in COMMUNICATION ET LECTURE, André Inizan, p.35).
Cette familiarisation est d'autant plus efficace que l'entraînement à la lecture est plus régulier et qu'il se transforme en activité de classe. En effet l'aptitude à lire ne dépend pas uniquement de la maturité physiologique mais aussi de l'exercice, de la pratique. Dans le cas d'un enfant de 6 ans qui commence à lire, le succès de cette action varie en fonction "du temps et de l'aide "que l'enseignant peut accorder à l'élève jusqu’ au moment où apparaît "la nécessité de prendre en considération les différences individuelles ", l’époque de l'aptitude à la lecture étant individuelle. La lecture en elle même fait bouger si elle met en place un monde dynamique.
Le maître marquera d'une manière nette dans n attitude que la séance de motivation à la lecture est "un instant privilégié": les couleurs et les images, les différents formats du livre et ses différents caractères de composition y contribueront largement. L'alliance du texte et de l'image offrirait au champ visuel et sensoriel en général de l'élève lecteur un monde DYNAMIQUE, GAI, et surtout plus chaleureux que la grisaille habituelle, d’un monde qui n a pas su rivaliser avec le pouvoir de l'audio visuel du Même siècle et bientôt du Même siècle. C'est la télévision qui règne en maîtresse absolue et qui accentue l'échec scolaire.
La télévision a en outre un atout : elle s'intéresse au monde quotidien de l'enfant. Il existe peu ou pas du tout de livres qui s'attachent aux problèmes contemporains. Une réadaptation du contenu des livres pour enfants est nécessaire. Pour cela une collaboration créateurs/enseignants /enfants est souhaitable. Les auteurs des manuels et des livres pour enfants ont à se soucier du contenu présenté aux enfants lecteurs, qui devrait s'inspirer des milieux de vie, des situations réelles, des questions scientifiques et humaines...
A. Ben Cheikh a déjà noté la trop grande place réservée su conte merveilleux dans la production pour enfants en Tunisie...
Outre le livre support, ou son contenu ce qui importe c'est la démarche, la manière de communiquer autour du livre. Il s'agit alors de mettre en place une certaine technicité de motivation à la lecture qui devra s'inspirer de l'ensemble des techniques de communication en général ...Ainsi par exemple, l’enseignant doit bannir ses réflexes de "contrôleur des connaissances" et en même temps doit revoir les activités proposées aux enfants. L'activité est choisie en fonction
de l'âge mental des enfants. La pédagogie orientée vers la motivation à la lecture se préoccupe des rapports :
1) Enseignant/Enseigné.
2) Enfant Lecteur/Livre, objet de la séance de motivation.
3) Enfants Lecteurs/Enfants Lecteurs.
4) Enseignant/Enseignés.
Les éducateurs doivent se réadapter aux élèves en réadaptant leur enseignement:les enfants habitués à la dynamisation de l'image, au décodage des signes visuels sont à appréhender autrement par les éducateurs, en général (parents, enseignants).
Au lieu de chercher constamment l'enfant que l'on a été et qui ne sera plus, il faudrait chercher à comprendre l'élève lecteur qui est en face de nous et qui évolue dans un monde évolué dans lequel il ne nous a pas été donné de vivre, il y a 20,30, ou 3O ans...
A partir de là, il nous sera facile de comprendre que ce n'est pas le livre qui n'est pas aimé mais les METHODES employées vis à vis de l'élève à qui on demande de lire ou à qui on offre un livre à lire ...Le goût de la lecture et de l'écriture n'est pas inné, il est transmis et acquis. Le maître ou les parents qui n'aiment pas les livres ne réussiront pas à faire aimer les livres à leurs enfants/élèves. Le désir de lire est à inculquer, à enraciner, à façonner, à modeler pour laisser se développer par .la suite compétence et performance en LECTURE. Les, premières briques de l'édifice se posent en première année du cycle primaire; si elles sont mal posées, branlantes ou friables, c’est l'échec. Les éducateurs invoquent souvent des questions d ordre matériel qui ne peuvent être ignorées dans l'absence de motivation à la lecture: Ce n'est pas seulement pour cause d’argent (locaux, livres personnels) mais, ce qui est plus grave, pour cause d'ordre psychologique: faute de motivation chez les professeurs et par suite chez les enfants."(in COMMUNICATION ET LECTURE)
Une classe où le système communicationnel est développé aussi bien. à l'intérieur qu'à l'extérieur est meilleure qu'une classe où le courant ne passe pas. Ainsi pour que le courant passe, les éducateurs doivent communiquer pour motiver et s'assurer que le contenu du livre choisi soit motivant et s'assurer surtout que leurs démarches soient motivantes.
Il ne faudrait pas se cacher la complexité de cette séance en Tunisie où les difficultés sont doubles:
D'abord, elles se situent au niveau matériel, absence de bibliothèques scolaires, manque de livres dans les écoles, manque d'enseignants formés à cet effet). Ensuite elles se situent au niveau psychologique, faute de motivation à la lecture chez les enseignants eux mêmes, tel que cela a été montré dans l'étude de A. Ben Cheikh (in, Cahiers de l'I. N.S.E, Les Enseignants et la lecture).I1 nous a paru essentiel de nous attacher au niveau psychologique qui lui permettra à l'enseignant à s'ouvrir à l'ensemble des techniques de la communication...
Le maître, ou l'enseignant en général,peut soit réellement MOTIVER l'enfant à la lecture par un comportement verbal et non verbal communicatif ou bloquer l'enfant en lui inculquant le refus du livre au niveau d'un comportement verbal agressif, non fondé sur le droit de l'enfant au respect (cf. Le droit de l'enfant au respect, F. SKANDRANI, in La Presse du 09/05/89) ou uniquement au niveau de son comportement non verbal tel que des mimiques, froncement de sourcils, menaces gestuelles, étonnement, haussement d'épaules...). Une attitude despotique n'est pas celle qui est requise pour faciliter la motivation à la lecture.
L'enfant lira dans un vrai livre. Si l'enfant ne sait pas encore lire, le maître le familiarisera avec l'histoire dans, une atmosphère très calme, chaleureuse... Il pourrait entamer cette séance de motivation à la lecture après une séance de relaxation de 5 minutes. L'enseignant peut aussi "justifier par des motifs" la lecture du livre qu'il présente à ses élèves. Il utiliserait une ou plusieurs images pour laisser l'imaginaire des enfants lecteurs s'exprimer en toute liberté : le maître est là nais ne doit pas agir pour censurer mais pour débloquer l'enfant inhibé ...Ainsi à partir de "motifs",de "gestes',de "mimes",de la communication orale ,de la "théâtralisation",du"conte"... l'enfant apprend à forger sa pensée par rapport à la pensée des autres enfants et par rapport à celle du maître,dans l'ordre et le respect d'autrui.
IV. Motivation à la Lecture, Psychothérapie, Mythothérapie, Sociothérapie:
La séance de motivation à la lecture est une possibilité de communication de l'enfant avec lui même, de l'enfant avec l'ensemble de la classe, de l'ensemble de la classe avec le maître.
Dans les livres pour enfants destinés à la séance de motivation à la lecture ,le maître sélectionne parmi la liste établie par la Commission de lecture dépendant du Ministère ,un certain nombre d'ouvrages qu'il soumet au choix de ses élèves. Dans deux classes différentes, le choix ne sera pas identique car la mentalité de deux classes diffère. L'enseignant proposerait au choix de la classe des contes adaptés à son niveau, à sa manière d'être, à son comportement. Une classe terrible se verrait offrir des récits d aventures. Une classe calme s'ouvrirait sur les douceurs de la nature quoique certaines scènes éveilleraient les paresseux et calmeraient les « diablotins »...
La motivation à la lecture permettrait une psychothérapie inconsciente:
Le conte, par exemple, permettrait la rupture de la claustration enfantine dans laquelle certains se complaisent et dont la gravité échappe parfois entièrement à la famille et à l'école. Parfois, certains élèves, mus par une scène captivante viennent faire part à l'enseignant de leurs problèmes personnels que ce dernier pourrait résoudre en partie. Parfois, sans même en parler au maître, par les situations variées qui se rencontrent au cours de la lecture, l'élève/lecteur arrivera à résoudre SEUL sa complexité psychologique.
La motivation à la lecture opérerait aussi une sociothérapie inconsciente:
Le maître par le biais du conte se rapprocherait des enfants et rapprocherait les enfants entre eux. Ainsi la lecture homogénéiserait la classe et faciliterait la communication au sein de la classe. Ainsi la lecture faciliterait l'intégration scolaire et sociale de l'enfant ¬élève. La motivation à la lecture réduira l'agressivité des enfants entre eux et l'agressivité maître/élèves. C'est en effet l'absence de communication intra classe qui se manifeste sous forme de violence entre camarades ou sous forme de chahut dirigé contre le maître.
Ces phénomènes sont le signe d'une énergie non canalisée, fruit d'un manque d'éducation et de culture que l'enfant ne peut acquérir qu à partir d'un meilleur contact avec lui même, avec les autres enfants, avec les éducateurs, avec les livres. La compétition, la rivalité... qui font que les élèves s'entredéchirent, se jalousent et se jouent des tours laisseront place à un esprit d’équipe, que le travail de groupe ne fera que précipiter. Ainsi les enfants apprendront à dialoguer, à coopérer, à s'entraider, à s'enrichir les uns les autres.
Pour cela, il s'agirait d'abolir des pratiques stérilisantes tel que le RESUME d'emblée, que certains enseignants pratiquent par facilité, paresse, esprit de contrôle, par économie... A la limite l'acte de lire aujourd'hui chez certains se confond avec l'acte de résumer...
Or le Résumé est un exercice complexe pour lequel le jeune élève de première année n'est pas armé.
En abolissant le résumé, l'enseignant doit guider les enfants ¬lecteurs à retrouver les liens, les fils conducteurs, les connexions, les relations qui existent dans le livre présenté.
1. Lecture et émotion : La lecture devrait faire bouger l'enfant, le faire remuer, le faire RIRE ou PLEURER, du moins le bouleverser pour le transformer en un être meilleur. Le conte, par exemple, outre son aspect merveilleux, est avant tout un moyen de provoquer le rire enfantin ou les larmes pour faire accéder l'enfant au REVE.
2. Du Rêve à la Réalité: Le maître tentera de varier les types de livres présentés en classe et ne se bornera pas au conte merveilleux. Il leur présentera et fera lire des contes que .les élèves lecteurs sauront être fictifs et les aidera à ne pas s'isoler dans un monde féerique. L'objet de la lecture est la CONNAISSANCE qui devrait amener l'élève à distinguer seul le vrai du faux; mieux, à n'entrer dans le faux que d une manière éphémère et surtout à ne jamais faire prévaloir le faux sur le vrai. Le secret de la pédagogie découle de la mise en place par le maître d'un jeu de miroirs que l'enfant lecteur est appelé à saisir d'abord sous la direction du maître puis seul, d'une manière implicite.
Dans quelle mesure, y a t il dialogue ou communication entre l'enfant, l’enseignant et les autres enfants? La communication est elle réelle ou décevante?
Elle est réelle, dans la mesure où chacun est amené à explorer les positions de l'autre, décevante, dans la mesure où chacun ne peut que les rejeter au nom de son propre système .La communication dialoguée a pour effet d'atténuer le système de l'enseignant et d'en faire jaillir ou saillir l'originalité soutenue par les définitions, les explications et les différenciations d'approches de tous les enfants de la classe véritable trésor humain. Le discours de l'enfant/ lecteur éclaire celui du maître. Il serait facile de montrer combien de pensées originales émergent en triant et en détournant celles sur lesquelles elles s'appuient, celles du maître et celles des autres enfants /lecteurs.
Enseigner, c’est trouver et apprendre des relations tout en cherchant à inculquer des relations; enseigner la motivation à la lecture, c’est communiquer et apprendre à communiquer. En cas d'absence de communication, il y a absence de motivation.
3. L’enseignant est un atout majeur de cette nouvelle séance de motivation à la lecture:Il s'agirait de faire de la motivation à la lecture un remède urgent et nécessaire de la claustration enfantine et du conflit social. Comment un enfant inhibé, persécuté, traqué, malmené pourrait-il se transformer en un enfant /lecteur équilibré, heureux, LIBRE, tout en ayant assimilé les principes de la loi et de la discipline (au sens étymologique, ce mot signifiait science; en effet, il ne pourrait y avoir de science sans respect du maître ni admiration de ce dernier)?
Ces dernières années, l'élève tunisien était pris comme en tenaille entre deux ordres:celui de la famille et celui de l'é¬cole. A ce sujet, une étude de Monsieur Hichem HASSEN, a noté que l'un des modes les mieux employés par l'élève tunisien, candidat au concours d'entrée en 1re année de l'enseignement secondaire, était l'impératif. Cependant à l'intérieur des pouvoirs, il était facile de constater un certain laxisme au niveau des responsabilités à assumer au sein de la famille, les parents ont cédé à la permissivité, abandonnant leurs enfants à des aides ménagères analphabètes, réactives, incapables de structurer la personnalité d'un être en formation sans formation préalable. Au sein de l'école, le système horaire, le nombre élevé d'élèves, le manque de moyens , la formation sur le tas d'instituteurs non préparés pour cette tâche n'ont ni valorisé l'enseignement ni facilité cette communication idéale du maître et de ses disciples.
L'enfant d'aujourd'hui sera l'homme de demain. Le cerveau de l'élève est comme un marché aux puces qui emmagasine d'année en année toutes les remarques,les explications,les nuances positives et négatives que ses enseignants lui ont inculquées. Ainsi, si l'enseignant est un homme de ressentiment, il fera plus tard de son élève, un homme de ressentiment. Si l'enseignant est équilibré, heureux, sans complexes il fera de son élève un homme équilibré, heureux.
La politique de démocratisation non doublée d'une politique de formation à outrance essentiellement dans le cadre du primaire... La séance de motivation à la lecture ne peut se faire en l'absence de VRAIS MAITRES. La motivation à la lecture ne peut être artificielle, elle devrait fonctionner comme le complément nécessaire de toute formation. Elle ne peut être réalisée sans livres et sans enseignants cultivés et formés à cet effet. L'élaboration des livres est à faire par des maîtres non patients mais actants : les enseignants de chaque classe seraient alors les acteurs principaux de cette nouvelle politique de lecture. Ils produiraient des ouvrages en fonction des différents niveaux en recherchant le "plaisir du texte" attendu par l’enfant.


CONCLUSION: Y a t il un droit du plus fort en communication? Non, il n'y a pas d'obligation fondée sur la volonté mais libre adhésion qui découle d'un enjeu communicationnel qui reconnaît l'émetteur et le récepteur comme sujets de droit. Un article du journal Le Point daté du 8 Janvier 1990 a consacré une étude au massacre de la lecture. Il met en relief un paramètre primordial : la qualité de l'instituteur."Ce sont les pédagogues pour une fois réconciliés qui l'affirment: un apprentissage de la lecture réussi, c’est d'abord un instituteur qui sait s'y prendre, quelle que soit la méthode employée,"rien ne remplace un maître chevronné, qui "y croit", qui a une forte "présence", explique Liliane Sprenger Charolles. "Le plus important est que les enfants trouvent en classe un milieu structuré et chaleureux", confirme Anne Le Breton. Rien, Hélas, ne permet de prévoir longtemps à l'avance si un enfant aura cette chance en entrant au cours préparatoire. Tomber ou non dans la bonne classe, rencontrer ou non cet instituteur qui saura communiquer le goût de lire : au delà des différences entre les enfants, ou du milieu social et familial d'origine, c’est peut¬ être cela, d’abord, l’inégalité des chances face à la lecture » (in Le Point n°903, p.43)
En résumé, La communication et la motivation à la lecture doivent :
1) Appuyer sur les points suivants: Le premier consiste dans la nécessaire communication par signes.
2) Le second consiste à mettre en valeur à travers la communication et la motivation à la lecture un minimum de valeurs éthiques humaines indispensables à toute vie sociale.
3) Le troisième consiste à mettre l'accent sur l'esprit de groupe, de solidarité, de coopération entre les enfants d'une même classe, en même temps que sur l'autonomie et la responsabilité individuelle.
4) Le quatrième consiste à choisir les maîtres les plus chevronnés et les plus communicatifs pour la 1re année de l'enseignement primaire. En effet, il s'agit de mettre en place dans les classes une technicité de la communication humaine qui s'appuierait tout autant sur la liberté individuelle que sur le respect d'autrui. Toute communication ayant des exigences pour ne pas devenir anarchique, le rôle du maître est important dans la direction du débat.

FAÏZA ZOUAOUI SKANDRANI

mardi 17 juillet 2007

LA SCIENCE DANS LE LIVRE POUR ENFANTS

Sensibiliser l’éveil scientifique et éduquer au monde qui nous entoure (Les Sciences dans les livres pour Enfants, Sfax, 26 mars 2005)
J’ai produit il y a quelques années en 1989 un premier album illustré que j’ai écrit en français pour aider les enfants de fin d’études primaires en Tunisie à renforcer leur bagage linguistique en s’ouvrant au monde qui les entoure , qu’il s’agisse de la faune et de la flore domestique , de celles des parcs zoologiques , des forêts du Nord , des paysages sahariens du Sud , du monde marin et aquatique… En un mot, je pense avoir été imprégnée par l’éducation dont j’avais moi-même bénéficié d’une part dans un triste internat français de fin de règne colonial et d’autre part dans une famille dirigée d’une main de fer dans un gant de velours par un père très à cheval sur les principes moraux et religieux, aussi rationnel que pouvait l’être un chirurgien qui venait de sortir des affres de la IIe Guerre Mondiale et de celles de la lutte anti-coloniale… Ce père qui vouait un véritable culte au livre , aux sciences et à la nature , nous transmettait d’une manière quasi permanente du « savoir », qu’on fût dans la cuisine au moment des repas ,dans le jardin , en promenade , à la montagne, à la plage, dans une ville antique ou moderne, au marché de poissons, de légumes ou ailleurs, à chaque fois qu’il pouvait nous sensibiliser à ce qu’on appelle « Les Sciences » il le faisait d’une manière simple et claire et rationnelle…
Au moment où j’ai dû moi-même assumer ce rôle d’éducatrice au sein de ma famille, et malgré mon expérience de pédagogue, je rencontrais d’énormes difficultés… Eduquer les enfants des autres s’avérait plus aisée qu’éduquer ses propres enfants et je me mis à me souvenir de ce que disaient les Spartiates à propos des familles auxquelles ils enlevaient les enfants dès leur six ans, sous prétexte qu’elles en faisaient des êtres mous et lâches, de mauvais citoyens…
Par ailleurs un autre souvenir littéraire m’obsédait ,et qui avait pour source un texte de Montaigne « De l’Institution des Enfants » où cet auteur préconisait cette idée fort avant-gardiste pour son siècle et qui considérait que l’enfant devait mettre à profit pour s’instruire et apprendre aussi bien la solitude que la compagnie , le matin que le soir , en espérant que toutes heures lui seront une ,et que toutes places lui seront étude… Mais il souhaitait d’abord que la philosophie soit sa leçon principale car elle est formatrice des jugements et des mœurs et qu’elle a ce privilège de se mêler de tout… que l’on dresse en même temps le physique et le moral ,le corps et l’esprit : « Ce n’est pas timon et que l’on use non de violence ou de force mais d’une sévère douceur pour initier l’enfant au monde sous toutes ses formes… une âme ,ce n’est pas un corps qu’on dresse :c’est un homme ; il n’en faut pas faire à deux… ne pas les dresser l’un sans l’autre, mais les conduire également ,comme un couple de chevaux attelés à un même attelage ».
Ce souvenir littéraire de Montaigne a je pense marqué mon esprit tout comme l’idée que « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Je ne prétendais pas écrire des contes mais reproduire des promenades « intelligentes » où les enfants lecteurs découvriraient une richesse linguistique qui les aurait aidés à mieux connaître leur environnement et où le littéraire , le linguistique , le mathématique ou le scientifique n’étaient pas des entités cloisonnées, que l’art de s’ouvrir au monde par la lecture contribuait à une meilleure maîtrise du déchiffrement cosmique à partir des lettres et des sciences et que le choix actuel de survaloriser les mathématiques et les sciences par rapport aux langues et aux matières de culture générale comme l’histoire , la géographie, la musique, le dessin, le sport… créait des êtres calculateurs , sans force ni beauté morale , des futurs Docteur Faustus , des Frankenstein ou autres monstres ….
Qu’ est-ce que sensibiliser l’enfant aux Sciences et comment l’ai-je fait dans les albums illustrés de la collection Yesmin et Sémy destinés aux enfants de 8 à 12 ans en Tunisie :
La vie animale et la socialisation de l’enfant
• Rôle du langage dans l’appréhension du monde et dans la transmission de l’acte de savoir, scire en latin qui a donné le mot science en français avec son doublet la connaissance …
1. La description physique :
• des animaux (le chat, patte antérieure, patte postérieure, La tortue (carapace) quatre pattes …, la tortue porte une coquille sur le dos ;
• de l’enfant (main, la dent de lait,) Les noms d’animaux
2. Les cris d’animaux (le chat miaule, la grenouille coasse, le chat ronronne …
3. Les gestes d’animaux (la grenouille saute et nage, elle a des pattes longues et palmées, elle coasse,…, la sauterelle sautille, bondit sur le côté et fuit, la souris court très vite, elle est agile …, la tortue ne bouge pas et recroqueville sa tête dans sa carapace, le chat se pelotonne contre elle
4. Les familles animales :
• Le chat est un félin, la souris est un rongeur
5. Les couleurs des animaux :
• Le chat est noir, le cafard est noir, la souris est grise, la grenouille est verte, la coccinelle est orangée à points noirs,
6. Les noms des :
• petits animaux qu’un enfant découvre dans son environnement immédiat comme, Le chat, la tortue, la sauterelle…
• des papillons,
• des abeilles ouvrières,
• des oiseaux, les moineaux, le rouge-gorge, le rossignol, les hirondelles…
• des plantes, des fleurs des jardins…
• des animaux sauvages à partir d’une visite au zoo…
• des poissons, et autres animaux marins…
Apprendre à un enfant à nommer le monde qui l’entoure n’est-ce pas l’aider à construire son savoir à partir d’événements , d’occasions ,de moments privilégiés , de faits ponctuels , et l’initier à un comportement toujours propice au savoir … les promenades sont des moments privilégiés pour la construction d’une famille soudée ,solidaire , aimante ,généreuse ,une famille communicante ,dont beaucoup de jeunes en difficulté aujourd’hui n’ont pas eu la chance de connaître … Les jeunes enfants nourris d’amour s’ouvrent plus facilement aux sciences que les autres ,et c’est le rôle des passeurs (parents ,pédagogues ,auteurs ,éditeurs ,illustrateurs ,pêcheurs ,guides touristiques , amis de passage …) qui provoquent ces opportunités d’accès au savoir sous toutes ses formes ….Le langage joue le rôle d’une clé dans la transmission et la construction de ce savoir ( scientifique ,historique ,géographique , humain … à partir des différentes expériences vécues en relation avec autrui et la diversité des propos et des sujets de réflexion puisés dans différents milieux sociaux …
Dans cinq livres que j’ai produits en 1989 ,en 1991 que j’avais édités avec le concours de l’Institut Français de Coopération , je me proposais de faire découvrir à l’élève tunisien de CM1 ou CM2 à travers des promenades « savantes » tout ce qui pouvait enrichir sa culture au sens large en voulant mettre en place cet esprit qu’a développé plus tard CHARPAK « La main à la pâte » dans les années 1996 . Personne ne peut aujourd'hui NIER que les Sciences doivent investir les livres pour enfants et que la sensibilisation à l’éveil scientifique a toujours été une préoccupation majeure pour ceux qui avaient à charge l’Institution des enfants comme le disait Montaigne dans ses Essais au XVI e siècle. Cet éveil scientifique demeure encore aujourd’hui un enjeu éducatif fondamental pour nos sociétés modernes menacées par le retour du scientisme et de l’obscurantisme et de leurs conséquences néfastes sur les sociétés mondiales (Extrémisme, racisme, guerre, violence …).
La collection Yesmin et Sémy avaient pour mission d’accompagner les enfants dans le développement de leurs divers apprentissages dans les classes, dans leurs familles, et dans leurs environnements et de leur apprendre à vivre ensemble, à communiquer, à S’AIMER… L’accès de l’enfant au savoir se faisait par différents passeurs , les parents ,les pédagogues, les frères et sœurs, les pêcheurs, les amis de la famille ,les guides touristiques, les livres, la télévision… En effet il ne s’agit pas de développer la science ou les sciences au détriment des lettres porteuses des valeurs humaines et humanistes de tous les temps mais de les mener parallèlement comme les deux chevaux d’un attelage pour reprendre encore une image de Montaigne se référant au développement harmonieux du spirituel et du physique, de l’âme et du corps d’un enfant…
Les enfants vivent dans un monde réel et l’appréhendent à travers leurs propres regards et avec un dialogue permanent avec les êtres qui les entourent, au cours de moments privilégiés que sont les sorties, les promenades, les excursions où se retrouvent les membres d’une même famille.
Au cours de ces promenades, les enfants construisent avec les êtres qui les entourent leur savoir, parlent, communiquent, échangent des informations et des expériences, acquièrent de nouvelles idées…
Les promenades laissent l’opportunité aux enfants de faire preuve d’esprit d’initiative, de prendre la parole librement, de faire preuve d’un esprit d’entreprise qui fait la part belle à ce que l’on appelle la liberté responsable.
Les deux jumeaux participent avec leurs savoirs … Ce ne sont pas de simples consommateurs du savoir des adultes même s’ils en tirent profit avec respect.
L’objectif essentiel étant une appropriation progressive du monde et du langage qui le dit, la faune, la flore, la mer, la montagne, le Nord, le Sud, les animaux domestiques, les animaux sauvages, les mœurs animales, les cartes routières, les cartes marines, les fonds sous-marins, les poissons, les coquillages… La science fait partie de la vie, de la pensée, de l’esprit… Elle n’est pas isolée et exclue du monde familial, du monde social… Elle doit s’enraciner dans des valeurs d’amour, de solidarité, de liberté car « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
J’ai, en fait, tenté de capitaliser tout ce dont j’avais bénéficié comme éducation, en ayant été enfant moi-même…
Il s'agit bien entendu d'une entreprise qui devrait être partagée entre l’école, la famille et les autres lieux de socialisation de la maternelle au collège pour que l’enfant acquière les bases scientifiques nécessaires ainsi que les démarches requises pour former son jugement et l’aider à appréhender et à vivre dans le monde le mieux possible. Le noyau dur de l’innovation réside bien du côté d'une pédagogie positiviste qui nécessite une synergie interinstitutionnelle qui fait tant défaut aujourd’hui par un manque de plus en plus tangible de communication entre les différents opérateurs dans le domaine de l’enfance , dans le domaine de la science ou des sciences et dans le domaine du livre , des livres, des langues et de la littérature que nombre de scientifiques et d’institutions scientifiques négligent aujourd’hui… Ne sait-t-on alors pas qu’on pourrait produire des monstres DONT l’ancêtre serait LE docteur FAUSTUS, Faust en Français ?

FAÏZA ZOUAOUI SKANDRANI

samedi 2 juin 2007

Lire pour découvrir la Tunisie

J'écris des livres pour enfants en français. Ce ne sont pas des contes mais plutôt des promenades pré-textes ou prétextes à l'apprentissage de la lecture,des mots, des phrases, des proverbes, des expressions idiomatiques.
Des textes de lectures qui s'inscrivent dans la quotidienneté des filles et des garçons de 8 à 12 ans pour leur faire découvrir la richesse culturelle d'un pays comme la Tunisie, porteur de plus de 3000 ans d'histoire...
Pays d'une richesse géographique inouïe avec montagne, mer méditerrannée, désert... et à l'identité si éclatée que jamais je n'aurais cru possible un enfermement identitaire...
J'ai essayé de dire la Tunisie d'aujourd'hui et d'autrefois tout en essayant d'eveiller les enfants à la beauté de la nature et de la vie...
Oui la vie est belle, la nature est belle et il faut des adultes pour le dire aux enfants en leur apprenant les mots qui vont leur servir pour la nommer...
Si les cultures du passé sont riches et si elles ont laissé leurs traces à Tunis ,à Carthage, à Testour, à Kairouan, à Dougga, à Sbeitla... la culture des Tunisiens aujourd'hui est plurielle de par les touristes de tous les pays qui y viennent en pour sentir ses jasmins et jeter un regard à ses mosquées, pour retrouver la grandeur de Carthage et de Ibn Khaldoun, de Jugurtha et de Salluste, de la guerre de César et de Pompée, pour goûter à ses olives fruitées et déguster ses oranges d'un goût particulier...
Yesmin et Sémy sont d'abord avec Patagriff (le chat) et Cotonnet (le lapin) dans le jardin de leur maison : ils sont au contact des animaux et des plantes des jardins et à travers les mésaventures de Patagriff qui cherche toujours querelle à des femelles mais aussi aux papillons et autres animaux, Yesmin, plus mûre que son frère même si c'est sa jumelle, ne se laisse pas le chaton chercher noise à son lapin et leur apprend à tous deux comment vivre en paix.
Yesmin et Sémy prennent la route pour Kélibia pour rejoindre des amis français venus en voilier jusqu'au port de l'ancienne Clupea mais il n'y a que deux places à bord. Sémy et sa mère resteront à Kélibia pour visiter son merveilleux château alors que Yesmin et son père feront la traversée de Kélibia à Sidi Bou Saïd. Yesmin découvrira la joie de la mer, la nuit, les étoiles, la voie lactée, les dauphins, les phoques, le rayon vert à la tombée de la nuit, l'île de Zembra...
Puis, ce sera le départ pour Tabarka, à la suite d'un rêve de plongée sous-marine avec le commandant Cousteau, la route du Nord, des cigognes, de Bulla Reggia, de Aïn -Draham, de la forêt de chênes-lièges, des sangliers, des maisons aux toits de tuile rouge... et la légende de Morjana qui a donné le morjane, c'est-à-dire le corail de Tabarka...
Enfin, une promenade au zoo du belvédère pour faire connaiissance avec les bêtes sauvages, leurs habitudes, leurs comportements face à l'agressivité...

Yesmin et Sémy visitent les villas romaines à Carthage avec leur instituteur, ils se rendent à Sidi-Bou-Saïd, à La Marsa, à Testour (village andalou), à Djerba pour assister à un mariage, à Mahdya (2 e capitale ), à Kairouan ( 1 re capitale )... Tous ces textes sont en cours d'illustration par Carla Lazreg...

Les enfants parlent entre eux, parlent avec leurs parents, avec les adultes qu'ils rencontrent car aujourd'hui les jeunes sont en panne de conversation. Je pense que les enfants qui communiquent ,qui discutent avec les adultes mûrissent plus rapidement que ceux qui sont interdits de parole !

Comment motiver les lecteurs ?

Aujourd'hui, les jeunes n'arrivent plus du tout à se concentrer, à discuter calmement, à réfléchir et à décoder le sens profond des mots. La télévision a grignoté non seulement une part de la maturité de l'enfance et de l'adolescence mais elle n'est pas la seule en cause puisqu'elle a été suivie d'abord par l'ordinateur et ensuite par le portable...
Quelle communication peut exister aujourd'hui entre les parents et les enfants,entre les frères et soeurs,entre les copains, dans le couple sans télé, sans ordinateur,sans portable ? La société peut-elle mettre en place un programme qui exploite les potentialités mécaniques tout en préservant la donne "humaine" ?
Comment lire pour mûrir, pour grandir, pour sourire à la vie, pour devenir un être dans le sens plein du mot ? C'est sur cette question que j'invite les blogueurs à réfléchir...Quel avenir pour le livre, pour les auteurs, les éditeurs, les illustrateurs...? Devraient-ils se reconvertir vers l'audiovisuel ou tenter de réfléchir à une nouvelle stratégie de développement du livre et de la lecture?